Le 76

Souvenirs des Expos : Entrevue avec Rodger Brulotte

Le 29 septembre 2024 marquera le 20e anniversaire du tout dernier match des Expos de Montréal au Stade olympique. Pour l’occasion, Le 76 s’est entretenu avec nul autre que Rodger Brulotte, célèbre commentateur sportif et figure emblématique du baseball québécois.

Revivons avec lui les meilleurs moments de Nos Amours!

Le 76 : Comment ton aventure avec les Expos a-t-elle commencé?

Mon aventure avec les Expos a débuté en mai 1969, alors que j’étais recruteur pour l’équipe au Québec. En 1970, je suis devenu adjoint au directeur du recrutement international des joueurs. J’ai eu la chance de contribuer à la signature de joueurs légendaires comme Gary Carter, Steve Rogers et Larry Parrish.

Ensuite, je suis passé aux relations publiques, travaillant avec Larry Chiasson, Monique Giroux et Richard Griffin. En 1977 et 1978, j’ai été secrétaire de voyage de l’équipe et j’étais donc responsable des déplacements des joueurs. Puis, en 1979, j’ai rejoint l’équipe marketing avec Roger D. Landry. C’est là que nous avons rencontré les créateurs de Harrison/Erickson, Inc., les génies derrière les Muppets, pour donner naissance à Youppi!.

J’ai aussi eu la chance de participer à l’organisation du Match des étoiles de 1982, où j’ai travaillé sur la tarification avec René Guimont, vice-président marketing. Puis, en 1983, je suis devenu commentateur à la radio et ensuite à la télévision, en 1990. Bref, j’ai été avec les Expos depuis le tout début, et j’en suis toujours aussi fier!

Youppi! lors d’un match en 1991

Le 76 : Quel est le premier souvenir qui te revient en tête quand tu penses aux Expos?

Ce qui me revient tout de suite à l’esprit, c’est l’histoire… L’histoire des Expos et du baseball. Je pense notamment à M. Lucien Langlois, à l’époque rédacteur au Montréal Matin. En 1969, il avait parfaitement résumé ce que représentaient les Expos pour tout le monde; le lendemain d’un match, la une du journal affichait le titre : Les Expos, Nos Amours.

Cet amour pour les Expos n’a jamais disparu. Ils sont toujours nos Expos, Nos Amours.

 

Le 76 : Les Expos ont créé un lien spécial avec les Québécoi(e)s. Selon toi, qu’est-ce qui rendait cette équipe aussi unique pour les partisans d’ici?

Les autres équipes sportives, comme les Canadiens ou les Alouettes, sont là depuis bien longtemps. On n’a pas vécu leurs débuts. Mais les Expos, eux, ils étaient comme un bébé, un enfant qui est venu au monde en 1969 et qu’on a vu grandir au fil des années.

Même si cet enfant n’a pas vécu très longtemps, jusqu’en 2004 seulement, pour tous ceux et celles qui ont connu les débuts et la jeunesse des Expos (et de Youppi!), cet enfant-là et cet amour feront toujours partie de leur vie.

 

Le 76 : Parmi tous les joueurs, lesquels t’ont le plus marqué et pourquoi?

Par amitié, Gary Carter et Andre Dawson. Ils étaient deux de mes grands amis.

Et pour avoir marqué l’histoire des Expos, Rusty Staub, Le Grand Orange, qui a lancé la ferveur autour des Expos. D’ailleurs, la couleur de Youppi! lui rend hommage. Ces trois personnes ont profondément marqué l’histoire des Expos et aussi ma jeunesse.

Puis, lors des dernières années de l’équipe, je pense aussi à Vladimir Guerrero.

Gary Carter et Youppi! remettant une balle à un enfant, en 1979.

Le 76 : Si tu pouvais revenir en arrière pour revivre un seul match ou un seul moment avec les Expos, lequel ce serait?

Le Match des étoiles de 1982, sans aucun doute. Le Stade olympique était rempli au maximum. C’était un événement d’envergure mondiale, diffusé partout. Il n’y avait rien de plus grand que ça.

Match des étoiles au Stade olympique de Montréal, en 1982

Le 76 : Bien sûr, on ne peut pas parler de vous sans mentionner votre célèbre phrase « Bonsoir, elle est partiiiiie! ». Pouvez-vous nous raconter l’histoire derrière cette phrase?

Jacques Doucet m’avait toujours dit, comme certains commentateurs américains d’ailleurs, tels que Harry Caray et Jack Buck, qu’il fallait décrire un coup de circuit avec une ligne dont les gens allaient se souvenir, et surtout, la dire avec émotion.

En 1983, je commentais un match à San Diego, en plein après-midi là-bas, donc vers 19 h ou 20 h à Montréal. Lors d’un coup de circuit, j’ai dit « Bonsoir, elle est partie! ». Jacques me regarde avec son humour incroyable et me dit « Rodger, on est en après-midi! » J’ai répondu en riant : « Jacques, oui, mais quelque part dans le monde, on est en soirée! ».

 

Le 76 : Est-ce que cette phrase était planifiée?

Non, elle était totalement spontanée! Quand on décrit quelque chose, si ce n’est pas spontané, ce n’est pas bon. Tous les commentateurs m’ont dit qu’il faut être spontané. Quand tu es trop préparé, il n’y a plus d’émotion. Alors je n’avais absolument rien préparé pour ce coup de circuit. C’est sorti tout seul, point.

 

Le 76 : Les Expos avaient des partisans incroyablement passionnés. As-tu une anecdote qui montre à quel point ceux-ci étaient dévoués à l’équipe?

À l’époque, nous organisions une parade chaque année dans les rues de Montréal. Je me souviens d’une année en particulier où les rues étaient froides et l’équipe ne gagnait pas… C’était une parade pour une équipe perdante. Et pourtant, des centaines de milliers de personnes étaient présentes sur Sainte-Catherine, prêtes à accueillir leur « enfant », les Expos, Nos Amours. Ça, tu ne peux pas battre ça.

De plus, avec des joueurs comme Carter, Guerrero, Dawson et d’autres, nous avons parcouru le Québec en caravane. On visitait des villes, des villages, on allait dans le Grand Nord, à Sept-Îles, au Saguenay, en Gaspésie…! On visitait des écoles durant la journée, et le soir, on participait à des réceptions. Chaque fois, les gens nous accueillaient comme des membres de la famille. C’était vraiment beau!

C’est d’ailleurs pour ça qu’on était si proches des gens : on allait les voir partout. Ceux qui ne pouvaient pas venir au Stade olympique nous accueillaient chez eux comme si nous étions de la famille. Et encore aujourd’hui, on m’accueille comme si les Expos jouaient toujours au Stade. Cette belle histoire d’amour n’a pas de fin.

Match des Expos au Stade olympique, 1992

Le 76 : Selon toi, quel est l’héritage que les Expos ont laissé au Québec, 20 ans après leur dernier match?

Des gens passionnés d’un sport, fiers de leur équipe. Les Expos ont enseigné la fierté et l’importance de la proximité avec les gens.

La fierté des générations plus âgées est même transmise aux jeunes! L’histoire des Expos est racontée par les parents à leurs enfants et petits-enfants, ils leur font vivre ces moments-là en leur parlant des joueurs et du baseball. Ils sont fiers de dire que les Expos étaient ici. C’est incroyable!

Et il y a la continuité des Expos : le fils de Vladimir Guerrero qui joue maintenant pour l’équipe de Toronto, par exemple. Des équipes de jeunes joueurs de baseball en région, qui s’appellent Les Expos. Il y a même des jeunes de 10 à 14 ans qui n’ont jamais vu jouer les Expos, mais qui les connaissent. La continuité est là!

Le 76 : C’est important de revenir sur cette partie de notre histoire, pour qu’elle reste ancrée dans la mémoire collective.

Absolument!

Le 76 : Merci beaucoup, Rodger, pour cette entrevue!

 

 

Pour les curieuses et curieux qui souhaitent en savoir plus, plongez dans la vie de Rodger dans sa biographie « Bonsoir… », écrite en collaboration avec Christian Tétreault, aux Éditions de l’Homme.

Crédit photo: Les Éditions de l’Homme