Je connais assez bien les compétitions de triathlon. J’ai couvert les performances des athlètes canadiens sur la scène internationale, dont les épreuves de la Série mondiale, les Coupes du monde et les Jeux olympiques, dans le cadre de différents mandats de rédaction. J’ai donc souvent regardé des triathlons de distances olympiques (1,5 km de natation, 40 km de cyclisme et 10 km de course) et de distances sprint (750 m de natation, 20 km de vélo, 5 km de course à pied).
En 2019, j’ai même pris part à un triathlon corporatif tenu en marge du Triathlon mondial de Montréal, l’une des étapes de la Série mondiale de la Fédération internationale de triathlon. Peu habile sur deux roues – honnêtement, j’ai un peu peur à vélo – j’étais heureuse de pouvoir prendre part à l’événement en faisant équipe avec deux autres personnes qui assuraient les segments vélo et course, ce qui me permettait de retrouver mon élément, même si c’était l’eau du Vieux-Port de Montréal et non celle d’une piscine à l’eau bien claire et chlorée.
Un point commun à toutes ces épreuves de distances et niveaux différents? Elles sont disputées à l’extérieur. Le 25 février au Centre sportif du Parc olympique, les Arena Games Triathlon, présentés par Zwift, proposaient quelque chose d’encore rarement vu au Canada, un triathlon tenu entièrement à l’intérieur et intégrant certaines technologies du sport électronique.
La natation avait lieu dans le bassin de compétition, alors que pour le vélo et la course, les athlètes n’avaient pas à se déplacer bien loin, puisque ces disciplines se déroulaient sur des vélos et des tapis de course incurvés, installés sur des bases intelligentes sur le bord du bassin. Il était alors possible de voir les avatars des athlètes avancer sur écrans.
Le format de la compétition, un concept propre à Super League Triathlon, était également différent de celui qui prévaut habituellement pour les épreuves de triathlon. Alors que les triathloniens sont habitués à ne prendre part qu’à une seule course rassemblant tous les participants au terme de laquelle les gagnants sont déterminés, ici, il y avait des qualifications quelques heures avant l’épreuve finale. Des vingt hommes et douze femmes inscrit(e)s, seuls les dix meilleurs de chaque genre allaient passer à l’étape ultime en début de soirée.
À l’exception des athlètes internationaux, plusieurs participants en étaient à leur première expérience à un événement des Arena Games Triathlon. C’était le cas de la tête d’affiche, le Canadien Lionel Sanders, spécialiste des triathlons longues distances.
Invité par Super League Triathlon, celui qui compte à son palmarès un titre de champion du monde de triathlon longue distance et plusieurs victoires en IRONMAN, et qui est devenu une icône de son sport, a bénéficié de chaleureux encouragements de la foule rassemblée au Centre sportif.
Lionel Sanders
« J’ai eu beaucoup de plaisir. La foule, les autres gars ici, la compétition, c’était une expérience fantastique, je n’oublierai jamais ce moment », a exprimé en entrevue Sanders après avoir pris le sixième rang de la finale. « Pour être plus compétitif dans ce type d’épreuve, il me faudrait améliorer mes capacités à générer de la puissance. C’était très intéressant de voir les autres en action et de constater ce que tu peux faire quand tu as de bonnes capacités anaérobiques et la possibilité de performer en puissance rapidement. Donc, je vais continuer de m’entraîner pour tenter d’imiter ces gars-là et comprendre comment ils font », a-t-il expliqué, tout sourire, sur les réseaux sociaux de la Super League.
Dire que les distances sur lesquelles s’affrontaient les athlètes aux Arena Games Triathlon sont différentes de celles de la spécialité de Sanders est un euphémisme. Alors qu’un triathlon longue distance comprend 3,8 km de natation, 180 km de vélo et 42,2 km de course, les distances aux Arena Games Triathlon étaient particulièrement courtes : 200 m de natation, 4 km de vélo et 1 km de course.
Une épreuve où l’on mise tout sur la puissance? Pas tout à fait. Ces distances, les triathloniens devaient les faire à deux reprises en qualifications, alors que la finale, elle, comportait trois rondes de ces mêmes distances. Entre chaque ronde, les athlètes avaient moins de cinq minutes pour reprendre (un peu) leur souffle. Il fallait donc qu’ils gèrent la course d’une façon toute spéciale. De plus, la dernière ronde se déroulait selon un format poursuite; les athlètes plongeaient à l’eau en fonction du retard qu’ils avaient sur le meneur ou la meneuse. Donc, le premier ou la première à terminer la dernière ronde était le ou la grand(e) gagnant(e).
Pour ajouter au défi d’adaptation, en finale, pour la deuxième des trois rondes, les disciplines du triathlon étaient inversées, soit course, vélo et natation. Vous me suivez toujours?
Pour ma part, en qualifications, je portais une attention particulière à l’un des huit Québécois(e)s en action, William Nolet, le fils de ma cousine, pour qui il s’agissait d’une participation à un premier événement d’une telle envergure.
Pour le triathlonien de 20 ans et son coéquipier du Rouge et or Mathis Beaulieu, le plaisir était au centre de leur expérience. « J’étais nerveux, mais je me sentais plus comme si j’allais m’amuser », explique Mathis qui a pris le dixième rang en finale.
Mathis Beaulieu
« Il y avait plusieurs premières pour moi aujourd’hui, a mentionné William. Le type de course, qui inclut le sport électronique, c’était nouveau. C’était aussi la première fois que je me retrouvais à participer à une épreuve aux côtés d’athlètes d’aussi haut niveau. J’étais dans la même vague que Lionel Sanders. Il y a plusieurs de mes adversaires d’aujourd’hui, que si je les croisais dans la rue, je leur demanderais un autographe », ajoute-t-il le regard brillant. Mathis a lui aussi aimé l’esprit de camaraderie : « Il n’y a pas beaucoup d’athlètes et tout le monde se parle. »
William Nolet et Lionel Sanders
Le format innovateur donnait lieu à une compétition de courte durée; la finale masculine a été bouclée en 35 minutes et celle des femmes en environ 40 minutes; avec de nombreux revirements. Il était possible pour les spectateurs d’être près et de constater les efforts déployés par les athlètes pendant toute la durée de la course et de leur témoigner leur soutien. Tout pour donner un bon spectacle!
William s’est d’ailleurs habitué rapidement à l’aspect spectacle de l’événement sportif. « Les caméras partout, c’était un peu intimidant. À tout instant, tu peux être filmé ou pris en photo, mais moi finalement j’ai adoré ça. Pendant la séance d’entraînement, à chaque fois que je voyais qu’on me prenait en photo, j’avais le réflexe de sourire. Un photographe est venu me voir pour me dire ‘ Là c’est parce que tu es censé être en train de forcer ’, et ils m’ont demandé d’arrêter de sourire. Ils ont dû comprendre que c’était ma première fois avec des photographes », admet-il, en affichant justement son grand sourire.
William Nolet
J’ai profité de la présence de William, qui adore jaser de son sport, pour en apprendre plus sur la façon dont les athlètes habitués aux triathlons conventionnels devaient s’ajuster. Généreux de ses explications, William m’a aidé à comprendre les différences entre ce type d’épreuve et un triathlon olympique.
« C’est beaucoup moins technique qu’une course de triathlon à l’extérieur. Ce n’est pas la même stratégie non plus. Aujourd’hui, ceux qui sont bons à vélo avaient de la facilité à se démarquer, alors que d’habitude, ce sont les aptitudes de course qui départagent les athlètes. Sur le vélo, comme nous ne pouvions pas faire de pelotons et profiter de l’aspiration créée par ceux devant nous, c’était chacun pour soi et chacun devait générer de la puissance. Le triathlon olympique, le triathlon sprint et ce type d’épreuve, c’est totalement différent. Ce ne sont pas nécessairement les mêmes athlètes qui vont se démarquer. »
Pour la nage non plus, il n’y avait pas de peloton. Les athlètes s’élançaient chacun dans leur couloir, comme dans une compétition de natation. « Une des choses que je n’aime pas dans un triathlon, c’est de devoir me battre un peu pendant la natation. On reçoit souvent des coups et c’est encore plus vrai quand la distance est courte. Ici, je savais que je pouvais juste me concentrer sur mon rythme, sans avoir à me faire une place dans un peloton », ajoute William. L’ex-nageuse en moi qui n’a jamais compris comment les nageurs en eau libre parvenaient à nager dans un peloton aussi longtemps est bien d’accord avec lui. Toutefois, pour Mathis, s’exécuter en piscine dans un couloir n’était pas un changement positif. « J’aime ça me chamailler dans l’eau, et là en piscine, il faut faire des virages-culbutes, des coulées sous l’eau. Ce n’est pas ma force ».
Aussi, en raison des nombreux changements de disciplines à l’intérieur d’une même épreuve, les transitions devenaient encore plus importantes, certains athlètes profitant de leur aisance à se déplacer entre les stations et à enfiler chaussures de vélo ou de course rapidement pour gagner de précieuses secondes.
Gina Sereno
Élément clé des Aréna Games Triathlon, les iPad fixés à chacune des stations de vélo et de course permettaient aux athlètes de connaître leur rang, leur vitesse, la puissance déployée et montraient également ces mêmes données pour leurs adversaires. « Voir nos avatars rattraper ou dépasser recréait les conditions d’un triathlon sur la route, mais avec la tonne d’informations disponibles, il fallait parfois lever les yeux de l’écran pour ne pas être trop déconcentré », mentionne William. Après la compétition, le jeune homme a d’ailleurs relaté à ses parents, qui étaient dans les gradins, qu’il aurait bien aimé les voir assis vis-à-vis le tapis de course qui lui était assigné, question de mieux recevoir les encouragements… et d’avoir quelqu’un à regarder.
En ce qui concerne le format de deux ou trois rondes de très courtes distances, il n’était pas totalement étranger aux athlètes, comme l’explique William : « Même si je n’avais jamais fait ça en compétition, ça ressemble aux séries que l’on exécute à l’entraînement. En revanche, pour ce qui est de l’énergie, je n’étais pas habitué à y aller autant à fond. » Mathis a d’ailleurs vu la journée comme un entraînement pour apprendre à bien gérer ses efforts. Qualifié pour la finale, il a avoué ceci : « Devoir faire deux performances en une seule journée, c’est nouveau, je ne sais pas trop l’énergie qui me reste. »
Ces triathlons nouveau genre pourraient gagner en popularité au cours des prochaines années. D’ailleurs, les huit Québécois(e)s qui ont pris part aux Arena Games Triathlon ne sont pas les seul(e)s à avoir bénéficié de la venue de l’événement à Montréal pour prendre de l’expérience.
Pendant les quelques heures entre la fin des qualifications et le début des finales, vingt athlètes (dix filles, dix gars) identifiés par Triathlon Québec, ont profité du site de compétition pour s’élancer à leur tour et prendre part à un Grand Prix québécois sous le même format que l’épreuve organisée par la Super League Triathlon.
C’est peut-être l’ancienne nageuse de haut niveau – et peureuse à vélo en moi – qui m’exprime, mais ce type de compétition me semble une belle introduction au triathlon, plus accessible pour ceux et celles qui sont en forme, mais qui n’ont pas l’expérience technique pour se lancer dans un triathlon conventionnel.
Est-ce que j’aimerais essayer? Même si on est loin des distances du triathlon olympique, toute épreuve de plus de cinq minutes semble un peu longue à la nageuse de 200 m, une épreuve d’environ deux minutes, que j’étais. Toutefois, tout comme William l’a souligné, ça ressemble au type d’effort que je pouvais faire à l’entraînement. Un autre facteur fait partie de mes compétences transférables; dans ma vie, je n’ai pas beaucoup pédalé et couru à l’extérieur, mais pédaler et courir dans l’humidité d’une piscine intérieure, ça je connais bien.
Et vous, ça vous tenterait d’essayer?