Dans la peau de Youppi! : Entrevue avec Claude Hubert

Impossible d’évoquer les Expos sans penser à la boule de fourrure orange qui déambulait joyeusement dans le Stade. Vous l’avez deviné : on parle bien sûr de Youppi!!

Pendant sept ans, Claude Hubert, l’un des personnificateurs les plus marquants de l’histoire de la mascotte, a touché le cœur des gens dans le rôle de Youppi!. Aujourd’hui, il nous replonge dans les moments les plus mémorables de sa carrière dans le costume de la célèbre mascotte!

Le 76 : Comment vous êtes-vous retrouvé dans le costume de Youppi!?

Dans les années 1980, j’ai remplacé à l’occasion une personne, Jean-Claude Tremblay, qui endossait à l’époque le costume de mascotte de Petro-Canada. J’ai commencé par l’observer, puis j’ai éventuellement enfilé le costume pour le remplacer à plusieurs reprises pendant une ou deux années. Nous faisions des tournées dans les stations-services et lors d’événements. Étrangement, même si la mascotte était une pompe à essence, les gens allaient vers elle et lui faisaient même des câlins! J’ai donc appris à entrer en contact avec les gens et à animer une mascotte. J’ai aimé l’expérience.

Puis, Jean-Claude a été approché par l’équipe des Expos pour réparer le costume de Youppi!. Par hasard, la personne qui animait Youppi! à ce moment-là, Denis Desaulniers, cherchait quelqu’un pour le remplacer. Jean-Claude, qui avait de l’expérience dans le domaine, a tout naturellement enfilé le costume de Youppi!.

Il faut savoir que Jean-Claude avait aussi lancé une entreprise de fabrication de costumes de mascottes. De fil en aiguille, il m’a éventuellement demandé si je voulais prendre la relève de Youppi!. J’ai donc observé comment il travaillait pendant la saison de 1984, et j’ai enfilé le costume de Youppi! en 1985. La première fois, c’était pour assurer une présence extérieure à la parade de la Saint-Patrick. Voir les gens aimer autant ce personnage a été une expérience extraordinaire!

J’ai animé Youppi! pendant les matchs des Expos jusqu’en 1991. J’ai adoré faire ça! J’ai aussi personnifié d’autres mascottes par la suite, mais Youppi! est celle qui m’a le plus marqué. C’est un personnage tellement aimé au Québec.

Le 76 : Quels ont été les plus grands défis de porter le costume de Youppi!?

Au début, c’était la chaleur. Il a fallu apporter des changements au costume pour permettre une meilleure aération et plus de légèreté. Les dernières années, le costume était moins lourd que le modèle initial conçu par Harrison/Erickson, Inc. En passant, d’ailleurs, c’est Bonnie Erickson, celle qui a conçu Miss Piggy du Muppets Show, qui a imaginé Youppi!. J’ai eu l’occasion de la rencontrer une fois. Je lui avais alors fait un câlin et lui avait dit « Bonjour maman »! Elle avait trouvé cela bien drôle!

L’autre défi, c’était qu’on voyait par la bouche. Pour donner l’impression que Youppi! regardait les partisans ou la caméra, on devait donc se pencher. Mais il fallait aussi lever la tête pour pouvoir voir leurs réactions à travers la bouche de Youppi!, sans que cela ne paraisse trop.

Il fallait de plus adapter les interactions selon les individus, comme les personnes timides ou les enfants. J’essayais aussi de ne pas trop décoiffer les dames!

Le 76 : À quel point aviez-vous de la liberté créative pour donner vie à Youppi!?

J’étais plutôt libre de faire ce que je voulais. Aux États-Unis, les mascottes sont accompagnées par des équipes créatives, mais pas ici. J’étais donc seul à trouver des idées. J’ai fait produire des costumes, comme le fameux pyjama porté le soir de l’expulsion de Youppi! ou le costume de la statue de la Liberté porté lors du week-end New York, New york.

Évidemment, au cours de ces sept ans, certains patrons m’ont donné plus de liberté que d’autres. Certains, qui sont devenus de bons amis, m’ont donné carte blanche. J’étais donc libre de faire ce que je voulais, comme d’animer deux sketchs à chaque match sur les abris des joueurs, l’un sur le côté adverse et l’autre sur le côté des Expos. Je restais aussi pour le match au complet, j’allais voir les gens dans les gradins…  C’étaient de belles années!

Le 76 : Youppi! est devenu une icône du sport et une figure emblématique des Expos. Selon vous, qu’est-ce qui a contribué à sa popularité?

C’est le contact avec les gens. Youppi! (et moi!) montrait qu’il aimait les gens. Il allait les voir dans les rangées et les spectateurs aimaient ça. Oui, il y avait parfois des personnes qui me disaient « Youppi!, tasse-toi, je regarde le match de baseball! », mais la plupart aimaient le personnage et étaient heureux qu’il aille les voir.

Le 76 : Quels sont vos plus beaux souvenirs dans le costume de Youppi!?

Mes plus beaux souvenirs sont ceux lorsque je visitais les hôpitaux pour enfants, comme le Montreal Children’s Hospital ou Sainte-Justine. J’ai fait ça durant toutes les années où j’ai animé Youppi!. Aller voir les jeunes patients était un moment émouvant, mais je sortais de là content de savoir que j’avais fait sourire un ou deux enfants. Les parents me remerciaient aussi, ils me faisaient un câlin et me disaient que ma visite leur avait fait du bien. Ce sont de beaux souvenirs qui m’ont marqué et qui vont rester gravés dans ma mémoire.

Le 76 : Quelle est la chose la plus folle que vous avez fait dans le costume de Youppi!?

C’était la fin de semaine New York, New York, donc les Mets et les Yankees étaient invités à jouer au Stade olympique. J’avais eu l’idée de faire produire un costume de statue de la Liberté. J’étais en plein milieu du terrain, costumé, et je tenais le flambeau dans les airs sans bouger. Je m’étais dit : « Si je suis tanné de tenir le flambeau avec la main droite, je vais changer de main », mais finalement, j’ai tenu le coup pendant 20 minutes! J’étais immobile à un tel point que les journalistes n’en revenaient pas et se disaient que ce n’était pas le vrai Youppi!, que le véritable Youppi! allait bientôt arriver sur son quatre roues.

Quand l’annonceur a dit « Et maintenant, accueillons les Expos », j’ai sauté en bas de la plateforme et les gens se sont mis à crier et applaudir. C’était vraiment impressionnant. Il y avait environ 50 000 personnes, puisque c’était la partie d’ouverture. C’était quelque chose à vivre!

Le 76 : Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu le fameux soir du 23 août 1989, où Youppi! s’est fait expulser du match?

C’était un match contre les Dodgers. Nous étions rendus à la onzième manche, et j’étais sur l’abri des joueurs adverses, dans un Youppi! en pyjama. J’avais fait confectionner le pyjama un peu plus tôt, au cas où un match s’étirerait et dépasserait neuf manches, et qu’il serait temps pour Youppi! d’aller se coucher.

Je faisais du bruit, je me laissais tomber un peu fort sur le toit en tôle. Le gérant des Dodgers, Tommy Lasorda, était un peu lassé d’entendre ces bruits-là, cela les dérangeait. Au début, il m’a demandé poliment si je pouvais arrêter, mais des partisans dans les gradins se sont mis à crier après lui et il s’est mis à monter le ton. C’est à ce moment que l’arbitre au 3^e but, Bob Davidson, en a eu assez et a annoncé que Youppi! était expulsé du match.

Sur le coup, j’étais surpris car cela ne s’était jamais fait. C’était très inattendu. J’effectuais simplement mon travail (Youppi! était un petit tannant!). Je suis descendu de l’abri tristement. On m’a confirmé que je devais sortir, alors je me suis retiré, mais je suis resté près au cas où les Expos gagneraient, pour célébrer la fin du match. Finalement, le public s’est mis à crier « Youppi!, Youppi!, Youppi! » et l’arbitre est revenu sur sa décision. Il m’a laissé revenir, à condition que je me tienne du côté des Expos. J’y suis donc resté jusqu’à la 22^e et dernière manche. Ce fut la partie la plus longue de l’histoire des Expos.

Ce jour-là, même si on a perdu 1–0, Youppi! est devenue la première mascotte à se faire mettre dehors d’un match de la Ligue nationale!

Le 76 : Quelle était votre relation avec les joueurs des Expos, lorsque vous ne portiez pas le costume?

Je côtoyais surtout les joueurs quand je montais dans la caravane en hiver pour faire des tournées au Québec. On allait à des soupers-bénéfice, des émissions de télévision, etc. C’est donc là que je passais le plus de temps avec les joueurs et qu’on avait du « fun ». Le soir, on sortait parfois dans des bars. Les gens reconnaissaient les joueurs et allaient les voir, mais moi, personne ne me reconnaissait quand je ne portais pas mon costume! Alors parfois, les joueurs leur disaient « Lui, vous ne le reconnaissez pas, mais il fait Youppi!!».

Le 76 : Si vous pouviez retourner dans le passé pour revivre un moment avec les Expos, ce serait lequel?

Il y en a plusieurs. Le match du 23 aout 1989, puisque c’est l’événement dont tout le monde parle encore. Aussi, faire rire un enfant qui n’avait pas ri depuis longtemps, à l’hôpital.

En fait, chaque événement était précieux pour moi. Il y a aussi toutes les rencontres que j’ai eu l’occasion de faire à travers le Québec. J’ai aimé le contact avec les gens. Ils étaient toujours très accueillants.

Le 76 : Comment le fait d’avoir porté le costume de Youppi! a-t-il encore des impacts dans votre vie aujourd’hui?

J’ai rencontré des personnes à l’époque des Expos qui sont encore dans ma vie aujourd’hui, et je croise encore des gens que je n’avais jamais rencontré auparavant, mais qui ont un lien avec les Expos. Le monde est petit.

Tout juste hier, alors que je suis présentement en voyage aux États-Unis, j’ai entendu quelqu’un parler français. Je suis allé le voir et, en jasant, j’ai réalisé que cette personne dessinait les caricatures pendant les matchs des Expos de Montréal. C’était une coïncidence très étrange! On a travaillé à la même place en même temps, et on se rencontre ici.

Je suis aussi en contact avec Denis Desaulniers, qui a personnifié le tout premier Youppi!. Nous nous parlons depuis des années par Internet, mais je l’ai rencontré pour la première fois il y a seulement trois mois.

L’an dernier, j’ai publié un livre sur mon histoire en tant que mascotte. Un de mes anciens patrons à l’époque où je personnifiais Youppi! m’avait beaucoup aidé en me donnant carte blanche pour animer. Ce furent mes meilleures années. Je l’ai remercié dans mon livre, et il n’en revenait pas. Il m’a contacté et m’a dit que personne ne lui avait dit merci auparavant. Il était touché.

Sur une note plus personnelle, c’est au match où Youppi! a été expulsé que l’un de mes amis dans l’assistance m’a présenté une demoiselle… et cela fait maintenant 35 ans que nous sommes ensemble! Le match était un 23 août, et nous nous sommes mariés il y a cinq ans, le 24 août. J’ai aussi fait tatouer un Youppi! en pyjama sur mon bras, il y a deux ou trois ans, après avoir vu le dessin d’une artiste sur Internet et lui avoir demandé sa permission. Ce match-là est resté marquant dans nos vies.

Bref, toutes ces rencontres que j’ai faites à l’époque où j’animais Youppi! vont toujours rester. J’aime encore en parler avec les gens, et je constate qu’ils aiment encore parler de Youppi!. Quand ils entendent les anecdotes que j’ai à raconter, ils l’apprécient et ce sont de bons moments que l’on passe ensemble.

Le 76 : C’est vraiment une belle histoire! Merci beaucoup pour votre temps. Ce fut un plaisir de vous entendre nous parler de votre expérience dans la peau de Youppi!!

Les anecdotes de Claude Hubert ont piqué votre curiosité? Découvrez-en plus dans son livre Les yeux dans la bouche, où il raconte son histoire avec les Expos et dans le costume de la célèbre mascotte Youppi!.