Entrevue : Evelyne Telmosse – nutritionniste du sport à l’INS Québec
Alors que les Jeux olympiques de Paris arrivent à grands pas, le personnel de l’Institut national du sport du Québec (INS Québec) est en pleine « préparation » en vue de cet été. Nous souhaitons mettre en lumière ceux qui œuvrent dans l’ombre, ceux qui travaillent sans relâche et passionnément pour aider les athlètes à réaliser leur plein potentiel. C’est ainsi que Le 76 a eu l’occasion de s’entretenir avec l’une de ces perles pour les athlètes, Evelyne Telmosse, nutritionniste au sein de l’Institut.
Evelyne a commencé sa carrière avec un baccalauréat en nutrition, avant de poursuivre avec une maîtrise en science de l’activité physique. Elle est maintenant nutritionniste du sport à l’INS Québec depuis trois ans.
À l’Institut, elle interagit régulièrement avec les équipes canadiennes de paranatation, de gymnastique et de plongeon. Elle est aussi la nutritionniste qui ira aux Jeux olympiques de Paris pour le Comité olympique canadien.
Peux-tu nous décrire ce qu’est une nutritionniste du sport et quelles en sont les principales tâches?
Nous jouons aussi un rôle crucial dans la prévention des blessures qui seraient reliées à des enjeux nutritionnels.
Le rôle d’une nutritionniste est d’aider les athlètes dans leur quotidien à développer de bonnes et saines habitudes alimentaires pour leur permettre d’atteindre leur performance optimale. C’est un rôle d’arrière-plan, mais qui demeure très important.
En tant que nutritionniste sportive, l’évaluation est une tâche primordiale. Elle consiste à cerner les besoins de l’athlète pour ensuite faire un suivi méthodique et les ajustements nécessaires. On définit les besoins de l’athlète en fonction de son poids, de ses besoins en glucides et en protéines et de la discipline pratiquée. Aussi, mon rôle est de donner des ateliers informationnels et éducatifs sur les concepts de base, l’alimentation simple et équilibrée ainsi que sur l’importance de la nutrition avant et après l’activité physique et d’apprendre aux athlètes la planification stratégique lors des compétitions.
Nous définissons les besoins nutritionnels de l’athlète en fonction de son poids, de ses besoins en glucides et en protéines et de sa discipline pratiquée.
Il y a deux types d’approches avec les athlètes : l’approche individuelle et l’approche en équipe. Dans le cadre de l’approche individuelle, je fournis des consignes nutritionnelles personnalisées à leurs besoins, à leur environnement et à leur contexte, dans l’objectif de changer des comportements alimentaires et d’optimiser les performances sportives. Tandis que dans l’approche en équipe, je donne des ateliers formatifs de groupe. Par exemple, je pourrais me rendre sur le plateau d’entraînement de l’équipe canadienne de paranatation et tenir une rencontre d’équipe pour les guider par rapport à leur récupération. Parfois, nous allons même cuisiner tous ensemble pour faciliter l’apprentissage des stratégies nutritionnelles.
Nous jouons aussi un rôle crucial dans la prévention des blessures qui seraient reliées à des enjeux nutritionnels. Ainsi, lorsque des blessures surgissent, c’est notre rôle d’accompagner les athlètes dans leur rétablissement en optimisant le statut nutritionnel et les apports nutritifs au corps. Par exemple, les athlètes peuvent souffrir de ce que l’on appelle le « RED-S syndrome ». Cela arrive lorsque les athlètes se sous-alimentent, c’est-à-dire que l’énergie pour leur corps est insuffisante, car la dépense énergétique est trop élevée. Souvent, les athlètes ne sont pas conscients qu’ils ne mangent pas assez, étant donné qu’ils n’ont pas les connaissances suffisantes pour bien connaître leurs besoins énergétiques. C’est assez fréquent dans des sports comme le triathlon, la gymnastique et la natation, car ce sont des sports qui demandent beaucoup d’énergie. Cela amène donc plusieurs risques de blessure et la récupération ne se fait pas toujours correctement. Ainsi, le corps n’a plus assez d’énergie pour la fonction essentielle des organes, menant donc à un affaiblissement du système immunitaire.
Finalement, nous devons collaborer étroitement avec l’équipe de soutien intégré, c’est-à-dire les physiothérapeutes, les entraîneurs et les préparateurs physiques. Cette collaboration est essentielle pour le partage d’informations et de contexte qui permet un meilleur suivi de l’athlète.
À quoi ressemble une intervention sur un plateau sportif?
Prenons l’exemple des athlètes de paranatation. Il est difficile pour eux de manger lorsqu’ils ont deux entraînements intensifs de deux heures par jour et, comme mentionné, c’est très important qu’ils s’alimentent durant l’entraînement. Je vais donc me rendre directement sur le plateau sportif pour remédier à ce problème. L’autre jour, j’ai fait un « bar ouvert » où j’offrais des boissons énergétiques faites maison, remplies de glucides et de sels pour que les athlètes comprennent concrètement ce dont ils ont besoin. Je leur ai même acheté des bouteilles pour susciter un changement de comportement. Souvent, les athlètes vont se dire : « je ne l’ai jamais fait alors pourquoi je le ferais maintenant ». C’est là que l’intervention sur le plateau sportif devient importante, car ils peuvent constater la différence que ça leur apporte. En récupération c’est le même principe. Je vais me présenter après l’entraînement et apporter des collations adaptées aux besoins individuels de chaque athlète pour qu’ils comprennent ce à quoi devraient ressembler leurs collations. Je me sers aussi de ces moments-là pour effectuer des suivis individuels. Je peux souvent parler à 15 athlètes sur place, ce qui me fait gagner beaucoup de temps. En plus, ça me permet d’interagir avec les entraîneurs. Donc c’est une façon de me montrer plus présente, d’accroître mon efficacité et d’avoir un impact sur plusieurs athlètes à la fois.
À l’approche des Jeux olympiques, comment ton rôle a-t-il évolué?
C’est bien important en nutrition de faire des essais lors des entraînements et de voir ce qui correspond le mieux à l’athlète pour que tout soit parfait lors des compétitions.
Nous utilisons une approche qui ressemble au principe d’un entonnoir. C’est-à-dire qu’au début, on s’adresse un peu à tout le monde en jetant les bases, puisque c’est souvent de nouveaux athlètes qui rejoignent l’équipe nationale à la première année du cycle olympique. Au fil des années, plus on se rapproche des Jeux, plus l’approche sera personnalisée. C’est bien important en nutrition de faire des essais lors des entraînement et de voir ce qui correspond le mieux à l’athlète pour que tout soit parfait lors des compétitions. Dans la dernière année, nous gardons seulement ce qui a bien fonctionné et ce à quoi l’athlète s’est habitué. Nous ne sommes plus dans une phase d’éducation, mais bien d’action, car nous considérons que l’athlète a déjà les connaissances nécessaires pour bien appliquer les stratégies. Mon rôle est donc de les aider à appliquer les stratégies et de les intégrer dans tous les entraînements et compétitions de l’athlète. Je serai aussi plus présente aux entraînements pour discuter avec les athlètes des derniers petits ajustements et les rassurer, car avec l’augmentation du stress et de l’anxiété, certains peuvent ressentir de petites inquiétudes, donc ça leur donne une chance de venir me parler.
Deux à trois mois avant les Jeux, il y a les essais olympiques pour certains sports. À ce moment-là je m’assure que tout est pris en charge pour eux. Je vais commander les repas et voir à ce qu’ils correspondent bien aux besoins des athlètes, ce que je ne fais pas nécessairement durant la première année olympique. On s’arrange plutôt avec les restaurants qui sont proches ou encore, on va faire l’épicerie.
Pour les Jeux olympiques de Paris, la nourriture sera fournie aux athlètes. Donc, je vais réviser les repas que les athlètes devront choisir pour s’assurer que les stratégies nutritives soient bien respectées.
Qu’aimes-tu le plus dans ton métier?
Quand l’athlète me dit qu’il voit une différence ou qu’il a senti un changement, ça me rend très heureuse et très fière.
J’adore l’environnement du sport de haut niveau, la variété de mon métier, ainsi que le fait de ne pas avoir de routine. J’ai des tâches très différentes, que ce soit des rencontres individuelles, des rencontres sur les plateaux sportifs, des rencontres d’équipe, cuisiner pour les athlètes, discuter avec les entraîneurs ou les médecins. Tout ça fait en sorte que c’est un métier stimulant et qui me permet d’apprendre constamment. Les athlètes mangent cinq à six fois par jour, donc je peux vraiment faire la différence dans leur quotidien et participer à leur succès. Quand l’athlète me dit qu’il voit une différence ou qu’il a senti un changement, ça me rend très heureuse et très fière.
Est-ce qu’il y a un moment marquant dans ta carrière que tu aimerais partager avec nous?
Mon évolution personnelle en tant que nutritionniste sportive dans le cadre des grands Jeux est ma plus grande fierté. En moins d’un an et demi, je vais avoir travaillé aux Jeux du Canada pour les équipes du Québec, aux Jeux panaméricains au Chili pour l’équipe du Canada et finalement, cet été, je travaillerai aux Jeux olympiques de Paris pour la délégation canadienne. Quand j’étais aux Jeux du Canada, jamais je n’aurais pensé aller aux Jeux olympiques, encore moins si rapidement. Je suis très fière de mon parcours et j’y ai beaucoup appris tant sur le plan personnel que professionnel.